Gn 32,23-33 – Pourquoi Jacob est-il renommé Israël par l’ange ?
Pourriez-vous nous préciser aussi pourquoi Jacob, fils d’Abraham, est renommé par l’ange Israël ? Est-ce que Jacob savait qui il combattait vu qu’il lui dit : Je ne te lâcherai pas, que tu ne m’aies béni, ou du moins croyait-il que ce fût un envoyé de Dieu ?
En bref
Le récit du gué de Yabboq est à mettre en perspective avec toute l’histoire de Jacob : la lutte avec l’ange de Dieu s’inscrit en miroir de la lutte fratricide entre Jacob et Esaü. Jacob signifie étymologiquement le « talon » : symbole de la lutte avec son frère ; Israël signifie étymologiquement « Dieu lutte » : symbole de la lutte avec Dieu. C’est d’autant plus fondamental de comprendre ce parallèle que le récit de Yabboq s’inscrit très exactement au moment de la réconciliation entre les deux frères… signe d’un chemin intérieur parcouru.
Développement
Le changement de nom est fréquent dans la Bible, d’Abram devenu Abraham à Simon devenu Pierre, dans les évangiles. Le pouvoir de désigner et nommer a été remis à l’homme (Gn 2,19-20), à qui Dieu a confié sa création. Mais ce pouvoir est d’abord celui de Dieu Lui-même, qui en use fréquemment pour signifier une élection, une proximité et/ou une vocation singulière – c’est-à-dire, dans une certaine mesure, un changement d’identité : ces hommes et femmes appartiennent à Dieu ; Dieu se donne à eux et attend leur don en retour. Nous retrouvons cela au moment du baptême, quand le prêtre demande le prénom ; dans certains pays, comme aux États-Unis, les enfants choisissent encore aujourd’hui un nouveau prénom pour leur confirmation, synonyme de passage à l’adulte dans la foi.
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Alors, pourquoi Jacob, fils d’Isaac et petit-fils d’Abraham, est-il renommé Israël ? La note de la TOB offre un premier renseignement à ce sujet : « Ce nom nouveau, qui signifie probablement Que Dieu se montre fort, est mis en relation dans ce récit avec l’énergie que le patriarche a montrée dans sa lutte contre un être surnaturel et les forces de la nature qu’il représente ; il évoque les luttes qui marquent le destin de Jacob et de sa descendance. »
Mais ce n’est certes pas une explication suffisante. En fait, il faut regarder l’histoire en son ensemble, c’est-à-dire entrer dans la dynamique du texte, en partant de l’étymologie de chaque nom :
– Jacob signifie étymologiquement le « talon » : symbole de la lutte avec son frère ;
– Israël signifie étymologiquement « Dieu lutte » : symbole de la lutte avec Dieu.
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Entrons maintenant dans le détail de cette histoire*. Le récit de la lutte avec l’ange s’inscrit dans le cadre d’une lutte fratricide entre Esaü et Jacob, qui a commencé dès la vie intra-utérine. Le chapitre 32 s’ouvre avec les préliminaires des retrouvailles (Jacob cherche à amadouer son frère dont il craint la colère), après des années d’exil, et avant la rencontre effective avec Esaü, qui se solde par une étreinte et un baiser de réconciliation (chapitre 33). C’est donc au cœur de cette lutte fratricide que Jacob vit une nouvelle expérience spirituelle : il a fait passer sa famille et tous ses biens de l’autre côté d’une sorte de ravin, le fameux « gué de Yabboq », et se retrouve ainsi seul (v. 24-25).
S’ensuit une lutte un peu confuse qui dure toute la nuit, au cours de laquelle Jacob s’accroche avec un être mystérieux, comme il pouvait s’accrocher auparavant avec Esaü (v. 26). Alors que le jour arrive, l’étrange adversaire demande à Jacob de le laisser, de ne plus s’agripper… ce que Jacob refuse de faire tant qu’il n’a pas reçu de bénédiction (v. 27). Qu’est-ce qui se joue ici ? Ou plutôt, qu’est-ce qui se rejoue ? Car l’enjeu de la bénédiction est précisément ce qui est au cœur de la lutte fratricide entre Esaü et Jacob : Jacob a « volé » la bénédiction de l’aîné auprès de leur père Isaac, en Genèse 27. Il n’en a, a priori, pas besoin. Sauf que la première bénédiction s’est faite par la ruse et la dissimulation, Jacob revêtant une peau de bête pour ressembler, au toucher, à son frère auprès d’un père devenu aveugle. Dans le cas présent, la bénédiction se fait face à face, en pleine lumière : Jacob ne dissimule plus, ne fuit plus, demande clairement la bénédiction et donne son nom sans détour (v. 28).
À ce stade, Jacob pressent que l’être qui lui fait face n’est pas commun, mais il ignore encore qui il est. C’est que lorsqu’il est renommé Israël (v. 29), pouvoir divin par excellence, que Jacob s’enquiert de qui il est exactement (v. 30). L’être mystérieux ne lui répond pas (c’est une révélation qui sera faite à Moïse, dans l’Histoire biblique) et le bénit, ce qui conduit Jacob à confesser : J’ai vu Dieu face à face et ma vie a été sauve (v. 31).
Par sa lutte avec Dieu, Jacob-Israël accepte désormais qui il est, lui qui a toujours fui de peur d’être blessé, lui qui est toujours sorti indemne de tous les combats qu’il a menés jusqu’alors, le voilà marqué dans son corps (v. 32). C’est dans cette fragilité là qu’il peut désormais se réconcilier avec son frère.
Pierre G. (SEDIF)
* Cette partie est notamment inspirée des travaux du bibliste André Wénin. Pour aller plus loin, nous vous recommandons les six entretiens (10mn chacun) qu’il consacre à Jacob : Le cycle de Jacob, par André Wénin.
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