09 février 2025

Sainte Apolline

Auteur/autrice : Pierre Gelin

Gn 32,23-33 – Pourquoi Jacob est-il renommé Israël par l’ange ?

Pourriez-vous nous préciser aussi pourquoi Jacob, fils d’Abraham, est renommé par l’ange Israël ? Est-ce que Jacob savait qui il combattait vu qu’il lui dit : Je ne te lâcherai pas, que tu ne m’aies béni, ou du moins croyait-il que ce fût un envoyé de Dieu ?

En bref

Le récit du gué de Yabboq est à mettre en perspective avec toute l’histoire de Jacob : la lutte avec l’ange de Dieu s’inscrit en miroir de la lutte fratricide entre Jacob et Esaü. Jacob signifie étymologiquement le « talon » : symbole de la lutte avec son frère ; Israël signifie étymologiquement « Dieu lutte » : symbole de la lutte avec Dieu. C’est d’autant plus fondamental de comprendre ce parallèle que le récit de Yabboq s’inscrit très exactement au moment de la réconciliation entre les deux frères… signe d’un chemin intérieur parcouru.

Développement

Le changement de nom est fréquent dans la Bible, d’Abram devenu Abraham à Simon devenu Pierre, dans les évangiles. Le pouvoir de désigner et nommer a été remis à l’homme (Gn 2,19-20), à qui Dieu a confié sa création. Mais ce pouvoir est d’abord celui de Dieu Lui-même, qui en use fréquemment pour signifier une élection, une proximité et/ou une vocation singulière – c’est-à-dire, dans une certaine mesure, un changement d’identité : ces hommes et femmes appartiennent à Dieu ; Dieu se donne à eux et attend leur don en retour. Nous retrouvons cela au moment du baptême, quand le prêtre demande le prénom ; dans certains pays, comme aux États-Unis, les enfants choisissent encore aujourd’hui un nouveau prénom pour leur confirmation, synonyme de passage à l’adulte dans la foi.

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Alors, pourquoi Jacob, fils d’Isaac et petit-fils d’Abraham, est-il renommé Israël ? La note de la TOB offre un premier renseignement à ce sujet : « Ce nom nouveau, qui signifie probablement Que Dieu se montre fort, est mis en relation dans ce récit avec l’énergie que le patriarche a montrée dans sa lutte contre un être surnaturel et les forces de la nature qu’il représente ; il évoque les luttes qui marquent le destin de Jacob et de sa descendance. »

Mais ce n’est certes pas une explication suffisante. En fait, il faut regarder l’histoire en son ensemble, c’est-à-dire entrer dans la dynamique du texte, en partant de l’étymologie de chaque nom :
– Jacob signifie étymologiquement le « talon » : symbole de la lutte avec son frère ;
– Israël signifie étymologiquement « Dieu lutte » : symbole de la lutte avec Dieu.

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Entrons maintenant dans le détail de cette histoire*. Le récit de la lutte avec l’ange s’inscrit dans le cadre d’une lutte fratricide entre Esaü et Jacob, qui a commencé dès la vie intra-utérine. Le chapitre 32 s’ouvre avec les préliminaires des retrouvailles (Jacob cherche à amadouer son frère dont il craint la colère), après des années d’exil, et avant la rencontre effective avec Esaü, qui se solde par une étreinte et un baiser de réconciliation (chapitre 33). C’est donc au cœur de cette lutte fratricide que Jacob vit une nouvelle expérience spirituelle : il a fait passer sa famille et tous ses biens de l’autre côté d’une sorte de ravin, le fameux « gué de Yabboq », et se retrouve ainsi seul (v. 24-25).

S’ensuit une lutte un peu confuse qui dure toute la nuit, au cours de laquelle Jacob s’accroche avec un être mystérieux, comme il pouvait s’accrocher auparavant avec Esaü (v. 26). Alors que le jour arrive, l’étrange adversaire demande à Jacob de le laisser, de ne plus s’agripper… ce que Jacob refuse de faire tant qu’il n’a pas reçu de bénédiction (v. 27). Qu’est-ce qui se joue ici ? Ou plutôt, qu’est-ce qui se rejoue ? Car l’enjeu de la bénédiction est précisément ce qui est au cœur de la lutte fratricide entre Esaü et Jacob : Jacob a « volé » la bénédiction de l’aîné auprès de leur père Isaac, en Genèse 27. Il n’en a, a priori, pas besoin. Sauf que la première bénédiction s’est faite par la ruse et la dissimulation, Jacob revêtant une peau de bête pour ressembler, au toucher, à son frère auprès d’un père devenu aveugle. Dans le cas présent, la bénédiction se fait face à face, en pleine lumière : Jacob ne dissimule plus, ne fuit plus, demande clairement la bénédiction et donne son nom sans détour (v. 28).

À ce stade, Jacob pressent que l’être qui lui fait face n’est pas commun, mais il ignore encore qui il est. C’est que lorsqu’il est renommé Israël (v. 29), pouvoir divin par excellence, que Jacob s’enquiert de qui il est exactement (v. 30). L’être mystérieux ne lui répond pas (c’est une révélation qui sera faite à Moïse, dans l’Histoire biblique) et le bénit, ce qui conduit Jacob à confesser : J’ai vu Dieu face à face et ma vie a été sauve (v. 31).

Par sa lutte avec Dieu, Jacob-Israël accepte désormais qui il est, lui qui a toujours fui de peur d’être blessé, lui qui est toujours sorti indemne de tous les combats qu’il a menés jusqu’alors, le voilà marqué dans son corps (v. 32). C’est dans cette fragilité là qu’il peut désormais se réconcilier avec son frère.

Pierre G. (SEDIF)

* Cette partie est notamment inspirée des travaux du bibliste André Wénin. Pour aller plus loin, nous vous recommandons les six entretiens (10mn chacun) qu’il consacre à Jacob : Le cycle de Jacob, par André Wénin.

 



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Pourquoi la plupart des Juifs n’ont pas reconnu en Jésus le Messie après tant d’annonces ?

Pourquoi la plupart des Juifs n’ont-ils pas reconnu en Jésus le Messie qu’ils attendaient, alors que l’on peut lire beaucoup d’annonces de la venue de Jésus dans l’Ancien Testament ?

La question du Messie (et de l’attente messianique) sera au cœur de la rencontre 5, autour des livres prophétiques… Vous verrez qu’elle n’est pas si simple. Je vous propose donc de reporter la réponse à cette date. Disons simplement, pour le moment, que le Christ accomplit certes les Écritures, mais d’une manière originale : il est un Messie à la fois attendu et… inattendu !

Pierre G. (SEDIF)

 



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Pourquoi Dieu a-t-il laissé l’arbre de la connaissance du bien et du mal « à portée de main » d’Adam et d’Eve ?

Pourquoi Dieu a-t-il laissé l’arbre de la connaissance du bien et du mal « à portée de main » d’Adam et d’Eve ?

Voilà une belle question  ! Il y aurait bien des manières d’y répondre, mais disons simplement ceci : Dieu a laissé « à portée de main » les conditions d’un libre arbitre, que symbolise l’arbre de la connaissance du bien et du mal. L’arbre est évidemment un symbole ; ce que Dieu permet, c’est que l’homme et la femme puissent choisir d’être le juge du bon et du mauvais, sans s’en remettre à Dieu, sans Lui faire confiance. Le péché surgit quand la femme et l’homme se donnent le pouvoir de Dieu.

Tel est au fond le grand mystère de la liberté laissée à l’homme par Dieu : Il veut des êtres libres en face de Lui… C’est d’ailleurs pour cela qu’Il libère les Israélites d’Égypte avant de faire alliance avec eux : Dieu ne fait jamais alliance avec des esclaves. Il en sera évidemment de même avec le Christ, qui nous libère définitivement de la mort et du péché avant de nous proposer d’entrer librement dans l’alliance nouvelle et éternelle. La liberté est condition de l’alliance entre Dieu et l’homme.

Pierre G. (SEDIF)

 



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Abraham a-t-il existé ?

Est-ce qu’Abraham a vraiment existé ou est-ce un récit uniquement symbolique ? Quel est le genre littéraire de ce texte finalement ?

En bref

Dans l’état actuel des recherches, il est impossible aujourd’hui d’affirmer qu’Abraham a ou n’a pas existé. Quand bien même il aurait existé, il est encore plus difficile de savoir si ce qu’on dit de lui dans la Bible est parfaitement historique. Au fond, qu’importe ? Là n’est pas l’enjeu. Les Juifs en ont fait une figure historique majeure pour signifier l’alliance scellée entre Dieu et son peuple. En ce sens, le genre littéraire du livre est l’épopée historique, qui comprend une part symbolique… et bien d’autres dimensions.

Développement

La première question est insoluble, au stade des recherches actuelles. Certains historiens ont évoqué les ressemblances troublantes entre sa pérégrination d’Ur en Mésopotamie à l’Égypte, en passant par Harran (Turquie actuelle) et Canaan (Israël actuel), et certains mouvements de population racontés par des textes anciens. D’autres disent qu’il y a vraisemblablement un personnage réel à l’origine de tout, dont la réalité historique se serait peu à peu effacée au fil du temps (cf. André Wénin, Abraham, un guide de lecture, Cahiers Évangile n°179). Cela justifierait son historicité.

Reste qu’en dehors de la Bible, nous n’avons à ce stade aucune mention d’Abraham dans nulle source que ce soit. Ce n’est pas étrange en soi. Jusqu’à la découverte fortuite d’une mention de Ponce Pilate sur un mur de sa résidence à Césarée dans les années 1970, on n’avait aucune preuve épigraphique (écrite) de son existence historique… Et il s’agit pourtant d’un personnage « officiel » de l’administration romaine, contrairement à Abraham. La question de l’historicité est donc au cœur des recherches de tous les historiens de l’Antiquité. Il faut savoir qu’Abraham n’est pas seul dans ce cas : Moïse non plus n’est pas mentionné ailleurs que dans la Bible. Et même si nous avions une mention d’Abraham ou de Moïse, qu’est-ce qui nous prouve que cela est historique ? On connaît par exemple l’existence d’une stèle qui mentionne la maison royale de David… mais qu’est-ce qui nous dit que les événements racontés par la Bible sur David sont « vrais », parfaitement historiques ? Rien. Enfin, la question se pose aussi, en un certain sens et bien qu’il faudrait aussitôt apporter ici des nuances majeures, pour Jésus ; la thèse mythiste, reprise récemment par le livre de Michel Onfray, même s’il est caricatural par endroits, porte la trace de cette problématique.

Le chercheur Michael Langlois, docteur ès sciences historiques et philologiques, résume très bien le débat sur Abraham dans un article publié sur son site :

« [Les] cultures orientales nous éclairent sur de nombreux récits bibliques, y compris les traditions liées aux patriarches dans le livre de la Genèse, à commencer par Abraham. Cela ne prouve toutefois pas l’existence d’Abraham, d’Isaac ou de Jacob. […] C’est là le potentiel et les limites des Sciences de l’Antiquité : elles permettent de documenter des époques, des traditions, des religions ; mais elles permettent rarement d’attester l’existence de personnages bibliques, à l’exception de rois ou de scribes par exemple. Abraham est censé avoir vécu sous tente, faisant paître ses troupeaux avec son clan ; il est donc peu probable qu’il se retrouve mentionné sur une stèle royale ou dans des archives administratives palatiales. Et quand bien même son nom apparaîtrait sur des documents contemporains, il pourrait s’agir d’homonymes ; en effet, les études sur les noms (= onomastique) et les personnages (= prosopographie) montrent combien il est parfois difficile de distinguer des homonymes, même lorsqu’il s’agit de hauts personnages tels que des rois. L’absence de preuve n’est pas non plus preuve d’absence, si bien qu’il ne faut pas non plus conclure trop hâtivement qu’Abraham n’a jamais existé. Il faut plutôt rester prudent et accepter que, dans l’état actuel de la science, son existence reste incertaine. »

En d’autres termes, affirmer de manière absolue qu’il a existé ou qu’il n’a pas existé sont deux écueils à éviter ; en toutes choses, il faut la prudence et l’humilité.

Est-ce pour autant un récit uniquement symbolique ? Il y a forcément une dimension symbolique dans tout ce qui nous est raconté dans le Premier Testament (et aussi dans le Nouveau, d’ailleurs). Mais le genre littéraire est essentiellement celui d’une épopée historique. Il y a dans la Bible la reconstruction d’une Histoire, à la lumière d’événements précis : la division en deux royaumes, le règne de Josias, la domination par des empires successifs, l’expérience de l’Exil… Cette reconstruction prend très probablement appui sur différentes traditions orales et écrites, plus ou moins exactes. Je ne pense pas que les hagiographes aient été dupes d’eux-mêmes : c’est un récit volontairement reconstruit par des croyants pour donner forme à une histoire qui use de la mémoire collective, de faits passés et transmis oralement, d’anecdotes populaires, de mythes, de symboles, de fables aussi… L’enjeu est d’arriver, à travers cette épopée historique, à une identité politico-religieuse et – sous-jacente – à la vérité d’une révélation divine advenue dans l’Histoire.

Pierre G. (SEDIF)

 

Lire aussi, sur le même sujet : Abraham était-il Juif ? Ses origines ont-elles été étudiées ?

 



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Abraham, Moïse… Y a-t-il une ou plusieurs alliances ?

Est-ce que la première alliance s’est faite à la sortie d’Égypte du peuple de Dieu (avec Moïse) et quelle différence avec l’alliance faite plus tôt avec Abraham ?

Cette question capitale est au cœur de la rencontre n°3 ! L’avoir compris intuitivement en en débattant en cénacle dès la deuxième rencontre est un beau signe… En attendant cette troisième rencontre, pour ne pas laisser cette question sans un début de réponse, disons ceci : il n’y a qu’une seule alliance dans le Premier Testament, constamment renouvelée et approfondie tout au long de l’Histoire et des livres… Il ne faut pas oublier que le Premier Testament est aussi appelé « Première Alliance » – ou « Ancienne Alliance » –, au singulier. À partir du Verbe fait chair, c’est une autre histoire… dont nous ne parlerons pas (encore) ici.

Pierre G. (SEDIF)

 



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Comment le P. Neuhaus peut-il dire que les Juifs n’attendaient pas le Messie ?

Le père David Neuhaus dit que le peuple n’attendait pas le messie. De notre côté, nous avons entendu le contraire à plusieurs reprises dans nos expériences/formations chrétiennes. On nous a souvent répété que le Messie était attendu. Que faut-il donc comprendre ?

Comment le P. Neuhaus peut-il dire que les Juifs n’attendaient pas le Messie, alors que c’est précisément cette attente qui a façonné le cœur de Marie ? Minimiser l’attente du Christ ne revient-il pas à dévaloriser la Vierge Marie ?

Tout d’abord, notons que le P. Neuhaus ne dit pas, stricto sensu, que le peuple n’attendait pas le Messie ; il explique que « l’attente d’un messie n’était pas aussi centrale pour le judaïsme à l’époque de Jésus qu’on le croit généralement ». Ce n’est pas exactement la même chose.

Venons-en maintenant au débat de fond… Le P. Neuhaus minimise beaucoup l’attente messianique au temps du Christ, quand d’autres la posent comme un absolu, une évidence quasi mathématiques : la question est très débattue et génère des positions extrêmes de part et d’autre.

C’est un sujet d’autant plus sensible qu’une piété populaire s’est forgée autour de l’attente du Messie, attribuant par exemple à la Vierge Marie des qualités et attitudes intérieures que les Écritures saintes ne confirment ni n’infirment : elle aurait ainsi préparé son cœur, depuis sa prime enfance, à la venue d’un Messie parfaitement identifié, jusqu’à prononcer un « Fiat » naturel et sûr… C’est une position que l’on trouve par exemple chez S. Louis-Marie Grignon de Montfort. Une autre tradition voit dans Marie une femme qui ne savait pas exactement ce qui l’attendait mais qui a choisi de faire confiance à Dieu, via son messager, ce qui l’a conduit toute au long de sa vie à prononcer des « Fiat » toujours plus profonds et enracinés dans le mystère. C’est une position que l’on trouve par exemple chez Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus. Alors, qui a raison ? Qui a tort ? Dès lors qu’on parle de piété populaire, nous touchons une corde sensible, car certains récits – avec les imaginaires qui leur sont liés – remontent à l’enfance, à la transmission par les parents et les grands-parents…

Je ne prétends pas trancher ici, ni remettre en question les croyances de chacun, d’autant plus si elles aident à grandir dans la foi. Restons-en simplement au texte biblique et aux recherches sur les sources adjacentes, prises notamment à la tradition juive de l’époque. L’intérêt de cet entretien est de montrer d’autres aspects du messianisme qui sont (très) peu connus des catholiques, en raison du titre « Messie » qui occupe tout l’espace, et que le P. Neuhaus met bien en avant. Pour résumer la thèse de ce dernier : au temps du Christ, il n’y a pas une attente monolithique et uniforme d’un Messie parfaitement identifié ; il y a des conceptions divergentes, parfois difficilement compatibles… Le miracle est que Jésus assume toutes ces conceptions et les accomplit, de manière inattendue.

Pierre G. (SEDIF)

 



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