Art et Liturgie

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culture

Contributeur : Paroisses | Ensemble paroissial de Vers-Pont-du-Gard

Notre Dame du Gardon

Les villages de Castillon-du-Gard et Vers-Pont-du-Gard protégés de l’explosion du dépôt de munitions

Nous voici à 80 ans, à une dizaine de jours près, de l’événement d’août 1944 que cet oratoire commémore depuis 1946. 80 ans, c’est à peu près le temps où l’histoire devrait prendre le relais de la mémoire. Mais l’histoire a besoin de sources écrites et de traces matérielles, et elles sont rares. Quelques personnes encore, à Vers et Castillon, peuvent nous parler du drame de cette époque pour l’avoir vécue. Si l’on associe leurs souvenirs à ceux qui ont déjà été transcrits ces dernières décennies et aux quelques archives qui les corroborent, voilà ce qu’on peut aujourd’hui en dire.

Le contexte (l’angoisse)

Depuis novembre 1942, les armées allemandes avaient étendu leur occupation de la France à la zone sud où nous sommes. Elles avaient constitué entre la gare du Pont-du-Gard et les villages de Castillon et de Vers, pour alimenter toutes leurs positions du midi, un arsenal massif de balles, grenades, torpilles, roquettes bombes, l’un des deux plus importants sur le territoire français (48 000 tonnes d’explosifs réparties en 159 îlots sur 36 hectares)[1], si important qu’après la fin de la guerre l’armée de l’air française mettra trois ans à démanteler ce dépôt. A l’été 1944, il venait encore de grossir : rien que pour la seule journée du 15 juin 1944, 100 wagons de munitions avaient été déchargés à la gare du Pont du Gard[2]. Or le débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944, puis le débarquement de Provence, le 15 août, provoquèrent une effervescence armée jusque dans nos villages, à cause des mouvements des troupes allemandes dans un sens puis dans l’autre, dans un désordre croissant, et des attaques aériennes destinées à préparer puis appuyer la progression des Alliés. Ce n’était plus surtout les villes, les positions militaires et les infrastructures stratégiques (les ports, les ponts, les usines…) qui se trouvaient directement menacées ; de partout, le danger se rapprochait et occupait les esprits des adultes. Ainsi, au mas de Rafin, une famille[3] s’était creusé un tunnel pour y accueillir tous les cousins en cas d’alerte au bombardement.

L’événement (le soulagement)

Le débarquement du 15 août est une réussite et la progression des armées alliées vers la vallée du Rhône s’avère rapide. Dès le 16 août, les armées allemandes, sauf à Marseille et Toulon, reçoivent l’ordre de se replier vers le nord pour y renforcer le barrage mis en place contre les Alliés. D’un point de vue militaire, le commandement allemand, en partant, ne pouvait pas laisser à disposition des Alliés l’arsenal qu’ils ne pouvaient emporter. Ils décidèrent donc d’organiser sa destruction après leur départ. A cause de la puissance explosive rassemblée et de son implantation, on a pensé, à l’époque, que sa mise à feu risquait de provoquer la destruction peut-être totale, en tout cas très importante, des deux villages de Castillon et de Vers. Les populations furent averties. A part quelques fortes têtes, la plupart des habitants quittèrent les villages, pour se réfugier, les deux jours et les deux nuits des 24 et 25 août, à distance, dans la campagne et les bois, à l’abri parfois des combes et des baumes, jusqu’à Flaux et Argilliers, en entassant dans la carriole tirée par le plus vieux cheval de la maisonnée, avec le grand-père et le bambin, le nécessaire à vivre. Les survivants de cette époque étaient adolescents ou enfants ; ils reconnaissent aujourd’hui que dans leur insouciance de l’époque ils ont pris cette aventure d’aller camper à la belle étoile d’été avec la famille et tous les camarades du village comme une partie de campagne plus amusante qu’inquiétante[4].

Mais le beau poème provençal de Louis Malbos est bien empreint quant à lui de l’angoisse et du sentiment d’impuissance qui pouvaient étreindre les adultes, conscients d’être au bord de perdre leurs villages et leurs maisons, au moment même où se faisait bien concret l’espoir de la Libération et du retour à la paix.

Or quand vint l’explosion prévue, elle s’arrêta bien vite. La ligne aérienne mise en place pour transmettre depuis le détonateur la mise à feu tout le long de l’arsenal avait été sectionnée ; un des poteaux qui la soutenait s’était effondré. On n’eut que des dégâts minimes à constater. Au plus tard le matin du 26 août, tous les Versois et les Castillonnais purent retrouver leurs maisons, soulagés. Et la libération de nos villages fut officialisée le 27[5].

Son interprétation (Qu’est-ce qu’un miracle ?)

Chute accidentelle d’un poteau ou sabotage délibéré, par des éléments de la Résistance ou même par des soldats allemands, la cause matérielle de l’échec de la mise à feu n’est pas connue avec assurance. Mais les catholiques de Vers et de Castillon avaient imploré l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie pour protéger la France et leurs villages. Leur prière était exaucée. Ils y ont vu un signe, venu de Dieu. En cela, ils se replaçaient sans trop le savoir dans une fidélité locale, puisque, selon Ferdinand Broche, dans sa monographie historique de Castillon-du-Gard[6], lorsque le choléra avait frappé Vers en 1854, et plus durement encore Castillon, ils avaient déjà attribué à la protection de la Sainte Vierge la régression rapide de l’épidémie après la fête de l’Assomption, le 15 août. Et ils se conformaient à une théologie de l’intervention de Dieu dans l’histoire qu’expriment par exemple le livre biblique de Judith ou la version hébraïque du livre d’Esther, dans lesquels le Dieu d’Israël peut intervenir sans anges ni surnaturel, par le simple cours naturel des événements et l’action spontanée des hommes. Le miracle est alors dans les bienfaits qui en adviennent.

Sa commémoration (rendre grâce et prier pour la paix)

En action de grâces, le curé de Vers obtint de l’évêque l’autorisation d’instituer une dévotion à Notre-Dame-du-Gardon, avec son pèlerinage annuel. L’emplacement où nous sommes fut choisi symboliquement aux confins de Castillon et de Vers, pour ériger cet oratoire, en pierre de Fontvieille, qui se prête plus à la sculpture que la belle pierre de Vers et de Castillon. C’est l’œuvre d’Armand Pellier, architecte, sculpteur et qui exploitait la seule carrière alors en activité de Vers, réalisée par Francisque Grinand[7], ouvrier de la carrière. Dans ses mains jointes, la Vierge protège une évocation de nos villages, où l’on reconnaît bien le clocher de l’église de Vers. L’évêque de Nîmes, Uzès et Alès, Mgr Jean Girbaud, est venu l’inaugurer et la bénir le 25 août 1946. Nous sommes reconnaissants de la présence de son successeur, Mgr Nicolas Brouwet, pour remercier le ciel encore cette année et prier avec nous pour la paix.

[1] Les Amis de l’aqueduc romain, Le village de Vers-Pont-du-Gard, 1995

[2] Maryse Cathébras, Uzès à la dérive (1939-1945), Ed. La Fenestrelle, 2021, p. 285

[3] Cecchini – témoignage de Denise Granier, née Cecchini, 2024.

[4] Témoignages d’Odette Largillière, née Daniel ; Inès Broche, née Ortuno ; Hermine Di Marco, née Cecchini

[5] A Vers en tout cas – délibération d’installation du comité local de libération

[6] Archives privées

[7] Paroisses de Castillon-du-Gard et Vers-Pont-du-Gard, Notre-Dame-du-Gardon, 1946-2006 – archives privées

 

« Le retour du Fils Prodigue » Rembrandt Van Rijn. 1669

Ce tableau, une des toutes dernières œuvres de Rembrandt, illustre la fin émouvante de la célèbre parabole de Jésus : la rencontre du fils perdu et de son père en Luc 15, 11-32. Il invite à méditer non seulement sur le message transmis par le père, mais aussi sur celui du fils.

Quelques précisions pour mieux comprendre cette peinture.

Rembrandt a une soixantaine d’années quand il réalise cette œuvre. C’est un homme ruiné par les faillites et surtout usé par les deuils : il pleure encore la mort de son propre fils, Titus, et va mettre toute son intériorité, toute sa sensibilité spirituelle, à peindre le père et le fils. Sans aucun doute, Rembrandt se représente dans l’attitude du père rempli d’amour et de miséricorde, mais il est aussi le prodigue ruiné et rempli de désolation. Rappelons que Rembrandt avait peint dans sa jeunesse, en 1636, « le Fils Prodigue à la Taverne ». Il s’agirait d’un auto portrait de lui-même et de son épouse Saskia, où l’on reconnait le moment de la parabole dans lequel le jeune homme dilapide l’héritage paternel.

Le Fils Prodigue à la Taverne

Dans son ensemble.

Malgré son titre, ce grand tableau ne présente aucun élément de la parabole et n’a aucune connotation religieuse. Il s’agit essentiellement d’un père qui accueille son fils. Toute l’intimité entre le père et son enfant est mise en évidence : Rembrandt est à la fois, l’un et l’autre !

Regardons le père.

Il est à la fois massif et fragile par son maintien et son visage. Le visage est ridé et presque aveugle ; les yeux sont usés d’avoir attendu l’improbable retour, sans compter toutes les larmes furtives écoulées. Ce visage traduit toute la tendresse du père, toute sa plénitude. Il a une stature arrondie, presque ovale ; il s’abaisse devant son fils, ému de compassion. Les mains lumineuses, sont posées comme un manteau sur les épaules de son fils. Il est possible de distinguer une main masculine et une main féminine. Elles sont tendres et fortes, comme l’amour de l’homme et de la femme.

Regardons le fils.

Une nuque de bagnard, des plis froissés, des talons rabotés, des cicatrices qui traduisent le désarroi, l’échec, la ruine, la peur… Il s’attend à être jugé, il n’ose croiser le regard de son père… et il découvre qu’aux yeux de son père « le dernier des derniers est le premier de tous » ! Où se trouve-t-il ? Dans les mains et les bras de la Miséricorde… Cette miséricorde exprimée par le visage du père, s’écoule sur les épaules du fils, descend jusqu’au talon et la plante du pied.

D’autres personnages apparaissent dans le tableau….témoins de la miséricorde du père. Un homme drapé dans sa droiture, sa verticalité, semble être l’inverse du père… Il y a le fils ainé, enfermé dans son ressentiment. Il ne comprend pas, lui qui a toujours dit oui, lui qui a toujours été soumis, lui qui est sans reproche ! Jaloux, en retrait, son cœur n’y est pas ! Peut-être qu’avec le temps, il pourra lui aussi, être témoin de la miséricorde du père, et se réjouir de la bonté d’un cœur qui dépasse la justice…

Quelques réflexions.

  • Le tableau, comme la parabole, met l’accent sur la patience et l’amour du père qui ne se lasse pas d’attendre. C’est la parfaite image d’un Dieu d’Amour qui donne sans calcul, qui accueille et pardonne sans limite…
  • Mais il ne faut pas oublier la démarche de conversion du fils. Le repentir n’est peut-être pas au centre de la parabole. Se convertir, c’est fondamentalement se laisser aimer par Dieu, en se laissant saisir, relever, envelopper de sa miséricorde. Et c’est bien la conversion qui suscite joie et allégresse….au point de sacrifier le veau gras!

Sources :

  • Paul Baudiquey : « Rembrandt, l’Evangile intérieur ».
  • Philippe Abadie : « La Bible sous le regard de l’art ».
  • Jacques Descreux : « Les paraboles dans les Synoptiques ».