11 décembre 2024

Saint Daniel

Étiquette : Histoire

Jésus et Michel Onfray face à la science

Michel Onfray vient de publier Théorie de Jésus : biographie d’une idée, essai dans lequel il nie que Jésus a historiquement existé. Cette thèse, qui n’est guère nouvelle, a déjà provoqué nombre de recherches scientifiques contradictoires bien avant… l’existence historique de Michel Onfray. Analyse en quelques sources.

La négation de « l’homme Jésus » n’est pas nouvelle : elle est celle du courant mythiste (Bruno Bauer, Pierre Alfaric, Paul-Louis Couchoud…), né au XVIIIe siècle et largement développé le siècle suivant. Depuis, les recherches scientifiques, historiques, épistémologiques, archéologiques, jusqu’au travail sur la rédaction des manuscrits, ont beaucoup progressé.

L’étonnante contradiction de M. Onfray

Le nouvel ouvrage de Michel Onfray sur Jésus n’apporte que peu d’éléments véritablement nouveaux à sa thèse déjà développée dans Décadence, sinon peut-être de citer quelques sources supplémentaires, voire quelques faits dont nous pouvons discuter le fondement. Dans certains entretiens, il dit que son ouvrage sur Jésus est le fruit de recherches sérieuses qu’il n’avait jamais pris le temps de faire jusqu’à présent : or sa thèse est exactement la même que celle qui précédait… ses recherches sérieuses. On peut légitimer s’interroger sur sa démarche : d’abord, une thèse affirmée sans connaissances du sujet ; ensuite, des arguments dits scientifiques qui viennent tous confirmer – comme de par hasard – sa thèse préalable.

C’est d’autant plus étonnant, pour ne pas dire paradoxal et amusant, que M. Onfray disqualifie a priori toute recherche scientifique menée par un catholique : il n’y a qu’à voir comment il balaye d’un revers de main le travail minutieux du chercheur John P. Meier sur l’historicité de Jésus (cinq volumes de mille pages chacun tout de même !) au seul motif qu’il est un prêtre. M. Onfray dit même dans une interview que personne ne parle de cet état religieux quand J. P. Meier le mentionne dès son introduction, en proposant une réflexion sur ce que cela implique, et son éditeur le mentionne au commencement de sa courte notice biographique.

Alors, faut-il disqualifier Michel Onfray au motif que c’est un athée, qui plus est un athée dont la thèse était affirmée, selon ses dires, avant toute recherche sérieuse ? On serait tenté de lui répondre comme il traite ses opposants, mais ce ne sont pas nos méthodes. M. Onfray est à prendre au sérieux, d’une part parce qu’il s’agit d’un homme intelligent et travailleur, d’autre part parce que sa parole a du poids dans l’espace public, notamment auprès des jeunes.


Une jeune historienne, passionnée (et athée, puisqu’il faut le préciser), dénonce également ce biais de M. Onfray, biais qu’elle estime malhonnête et guère convaincant :

Jésus a-t-il vraiment existé ? Réponse de la science
(28mn)


L’homme qui écrivait plus vite que son ombre

L’un des défauts de Michel Onfray est qu’il va trop vite, avec plus d’une centaine d’ouvrages publiés entre la toute fin des années 1980 et aujourd’hui, soit en moins de 35 ans, y compris sur des sujets qui exigent plusieurs décennies aux chercheurs les plus aguerris.

Ainsi, en 2023, Michel Onfray a publié :
– une histoire philosophique de 400 pages sur l’âme : Anima ;
– un essai de 224 pages sur la marchandisation des corps et des esprits comme nouvelle forme de totalitarisme : Le fétiche et la marchandise ;
– une thèse de 272 pages sur Jésus : Théorie de Jésus : Biographie d’une idée.

Ce sont pas moins de 900 pages sur trois sujets d’une grande complexité qui ont été publiées par notre philosophe-essayiste-historien-journaliste tout terrain, sans parler de ses innombrables chroniques, articles, préfaces, interventions médiatiques, etc.

Les partis pris de Michel Onfray (en deux exemples)

1/ Thèse de Michel Onfray sur Flavius Josèphe
Lorsqu’il évoque Flavius Josèphe, M. Onfray dit s’appuyer sur l’édition des Œuvres complètes publiée par les éditions Bouquins, édition établie par l’historienne juive Mireille Hadas-Lebel et dans laquelle, dit-il, cette dernière conclurait que toutes les mentions de Jésus et des chrétiens sont des ajouts postérieurs, tardifs, du texte original.

Réponse
La question du « Testament flavien » est au cœur de grandes querelles scientifiques depuis… des siècles ! Certains défendent l’authenticité du texte intégral quand d’autres affirment que les passages sur le Christ et les chrétiens sont le fait de moines copistes ; une partie des chercheurs pensent que la vérité se situe probablement entre les deux : il y aurait bien une mention explicite de Jésus (il existe) sans affirmation prononcée de sa messianité (il est Fils de Dieu) – ce qui serait de fait étonnant pour un Juif. Il ne nous appartient pas de trancher cette querelle qui continuera à faire l’objet de débats, de colloques, d’études et de recherches. Notons simplement que Michel Onfray l’a, lui, définitivement résolu, sans nuance : cela ne dit rien sur l’état actuel de la recherche, avec toute la prudence et l’humilité qu’elle suppose, mais dévoile clairement la thèse que M. Onfray souhaite imposer envers et contre tout (tous).

2/ Thèse de Michel Onfray sur Nazareth
Michel Onfray affirme qu’il est impossible de parler de « Jésus de Nazareth », au motif que Nazareth n’existait pas au temps de Jésus. Ce dernier n’est donc qu’une construction conceptuelle et non une personnalité historique.

Réponse
La thèse de M. Onfray repose sur deux arguments :
=> d’une part, si le nom Nazareth apparaît bien à neuf reprises dans le Nouveau Testament (et 19 fois le terme « Nazaréen »), il est bien vrai qu’il n’en est jamais question dans l’Ancien Testament. Conclusion : ce serait une invention des évangélistes.
=> d’autre part, les sources archéologiques ne disent rien ; et quand elles disent quelque chose, c’est qu’elles ont été manipulées, inventées, tronquées par des archéologues chrétiens… Nous retrouvons la fameuse disqualification a priori de chercheurs au seul motif de leur éventuelle foi, sans considération pour la nature et la qualité du travail effectué, disqualification qui n’est jamais le fruit d’une discussion scientifique, ni même le fait des scientifiques eux-mêmes.

Qu’en est-il in fine ? Que savons-nous de Nazareth ? Si l’on se réfère au premier argument, rien ne peut être conclu : que Nazareth ne soit pas mentionné dans l’Ancien Testament peut tout simplement dire que le village n’était pas bien important à l’époque ; Sepphoris est, à l’époque, LA grande ville de Galilée… où Jésus ne passe jamais, privilégiant Nazareth et Capharnaüm. L’argument est caduque, tant pour ceux qui défendent l’existence que l’inexistence de Nazareth au temps de Jésus.

Reste le second argument : que dit la recherche scientifique sur le sujet ? L’archéologue britannique Ken Dark, grand spécialiste de l’archéologie paléochrétienne, qui dirige des fouilles à Nazareth, a publié plusieurs ouvrages sur le sujet, dont le dernier a paru cette année 2023, Archaeology of Jesus Nazareth, dans lequel il dresse un état des lieux des découvertes récentes et critique comme étant absurde la position de ceux qui nient l’existence du village au Ier siècle : on a déjà retrouvé, par exemple, deux maisons qui datent du temps de Jésus.


Interview en vidéo de Ken Dark sur Nazareth au temps de Jésus
(1h28, en anglais)


On pourrait multiplier les exemples à l’infini ! Il y a une absence systématique de prise en compte des sources qui, quand elles ne correspondent pas à la thèse de l’auteur, sont mises au ban d’emblée du fait de leur intentionnalité prétendument impure (évidemment jamais pour des raisons scientifiques). Pour presque chaque thèse mythiste avancée, il existe déjà une somme astronomique d’études scientifiques, de fouilles archéologiques et de recherches historiques qui la réfutent. À chacun de prendre le temps de s’y référer si une interrogation l’habite (oui, se former demande du temps et de l’énergie, nul ne peut en faire l’économie).

Nous nous contenterons quant à nous de vous proposer une courte synthèse, nécessairement incomplète, faite par Daniel Marguerat, professeur à l’université de Lausanne, à l’occasion d’une Journée d’étude organisée à l’université de Toulouse en 2016 sur le thème « Jésus de Nazareth, biographie impossible ? ».


En téléchargement :

Daniel Marguerat, « Traces du Jésus de l’Histoire. L’état des sources documentaires »

Anabases, 28 | 2018, 135-156 (OpenEdition)


Une méconnaissance des genres littéraires

Concluons en nous situant sur un tout autre plan, qui n’exclut pas les précédents, mais s’ajoute à la surprise qui nous anime à la lecture du livre de M. Onfray : c’est le point de vue exégétique. Le philosophe dit avoir lu les quatre évangiles d’affilée, relevant les incohérences d’un texte à l’autre, ne comprenant pas pourquoi tel passage est à interpréter littéralement quand tel autre est à comprendre de manière figurée…

M. Onfray développe parfois une logique (très) étonnante. Ainsi, dans l’évangile, il n’est question que de « bandelettes », jamais de suaire… donc le linge de Turin ne peut être selon lui authentique (il évoque également l’argument du carbone 14, sans considération pour les débats très pointus autour de cette datation : M. Onfray sait déjà, lui, ce que les scientifiques tentent encore de démêler). Ainsi, dans l’évangile, les morts qui grimpent à Jérusalem au moment de la mort du Christ prouvent que rien n’est historique, puisque soit on prend tout littéralement, soit rien. Etc. Etc.

N’importe quel apprenti exégète sait qu’il y a des genres littéraires dans la Bible, que ce procédé fait partie intégrante du processus rédactionnel. Plus personne, sauf quelques fondamentalistes évangéliques, n’interprète par exemple littéralement les onze premiers chapitres de la Genèse. Les évangiles ne font pas exception : une parabole est une parabole, une hyperbole est une hyperbole, une parole est une parole, etc. Chaque récit est à discerner, en fonction de son origine, de son style et de sa fonction.

Au fond, en procédant ainsi, M. Onfray utilise les mêmes méthodes de lecture que les fondamentalistes les plus radicaux – qu’il critique au demeurant. Nous pouvons reconnaître à Michel Onfray d’être un travailleur acharné et un philosophe de la synthèse. Mais à trop vouloir aller vite, il en oublie la rigueur scientifique, aussi bien celle de l’archéologie que celle de la génétique des manuscrits, autant de domaines qui exigent bien souvent de la patience et de la persévérance, voire une vie de travail.

 

Lire aussi :
– Christophe Lemardelé, Réponse à Michel Onfray : « Jésus le Galiléen est une figure historique peu contestable », Marianne, 18 décembre 2023

 


Photographie de Une : Michel Onfray no Fronteiras do Pensamento Santa Catarina 2012 – CC BY-SA 2.0 – Source : Wikipedia