Petit historique de la fête des prêtres du diocèse de Nîmes
Par le P. René Guignot
Alors qu’ils s’apprêtaient à célébrer cette année le 140° anniversaire de leur fête du 21 novembre, les prêtres du diocèse de Nîmes la voient reportée sine die et vraisemblablement annulée.
Née en 1880 et célébrée au séminaire le jour de la Présentation de Marie, cette fête n’a jamais été supprimée, même dans les années difficiles de la grande guerre et de la seconde guerre mondiale, bien qu’elle ait changé d’aspect. Elle existe chez nous grâce à un singulier concours de circonstance.
Depuis sa refondation en 1823, le séminaire de Nîmes, situé alors rue des Chassaintes, était dirigé par des prêtres du diocèse, mais en 1880, l’évêque du moment, Mgr Besson, voulut récupérer ces prêtres professeurs pour les affecter au ministère paroissial. Le P. d’Alzon, fondateur des Augustins de l’Assomption, vit là une opportunité pour placer ses pères comme professeurs au séminaire. Mais les relations entre l’évêque et le Père étant loin d’être bonnes, Mgr Besson préféra faire appel aux prêtres de St Sulpice, compagnie fondée en 1645 à Paris par le P. J-J Olier de Verneuil pour la formation des séminaristes.
Les Sulpiciens arrivaient donc à Nîmes à l’automne 1880. Avec leurs compétences et leur spiritualité ils amenaient leur fête traditionnelle de la Présentation de Marie au Temple. Cet épisode de la Présentation de Marie ne se trouve pas dans les évangiles mais dans un écrit égyptien du II ° siècle appelé le Protévangile de Jacques. Il n’était pas retenu officiellement par l’Eglise à cause de son caractère tardif sans assise historique suffisante. Mais au VI° siècle, d’abord en Orient, puis en Occident, la piété populaire s’empara peu à peu de l’événement et la fête s’inséra dans le calendrier liturgique à la date du 21 novembre.
Pour Jean-Jacques Olier, l’image de la Vierge offrant sa vie au Seigneur était le symbole parfait du jeune lévite entrant au séminaire pour offrir la sienne dans le sacerdoce. Le 21 novembre devenait naturellement la fête du séminaire St Sulpice. Ce jour-là, au cours de la messe solennelle présidée par l’évêque, les jeunes entrants au séminaire revêtaient la soutane au chant du Nunc tua gens te sibi consecrat, ceux de l’année précédente recevaient la tonsure, et tous les autres, les professeurs et les prêtres présents, venaient en procession deux par deux se mettre à genoux devant l’autel et, les mains dans celles de l’évêque, renouvelaient leurs promesses cléricales en récitant le Dominus pars hereditatis meae.
Arrivés à Nîmes en 1880, les sulpiciens célébraient donc pour la première fois leur fête le 21 novembre. Mgr Besson présidait, les jeunes entrants revêtaient la soutane, d’autres recevaient la tonsure, tandis que les minorés, diacres, professeurs et prêtres présents renouvelaient leurs promesses cléricales. La fête, impressionnante par sa ferveur et la nouveauté de ses chants, de ses rites et de ses symboles, émerveillait les assistants. La Providence cependant permettait que ce premier 21 novembre finisse sur une note de tristesse. A peine revenu à la sacristie, on apprenait à l’évêque la mort du P .d’Alzon. Malade depuis quelque temps, Mgr Besson était allé le voir plusieurs fois, lui donnant sa bénédiction. Il avait même écrit au président Grévy pour qu’on n’expulse pas les religieux du collège de l’Assomption au moment où leur fondateur était proche de la mort.
Malgré ce deuil, la fête du 21 novembre prenait racine dans le diocèse. Elle ne devait plus s’arrêter. La loi de séparation de décembre 1905 dépouillant le diocèse de ses bâtiments, le séminaire se repliait au 26 rue d’Aquitaine dans un immeuble appartenant au comte de Puysségur où logeait les Franciscains. Malgré l’exigüité des lieux, le 21 novembre y avait lieu jusqu’en 1925.
Pendant ce temps, un nouveau séminaire se construisait rue Salomon Reinach. Arrivé à Nîmes le 15 janvier 1925, Mgr Girbeau en pressait l’achèvement. Le 14 octobre 1926, le nouveau séminaire ouvrait ses portes, toujours sous la direction des pères sulpiciens, et le 21 novembre suivant se déroulait la traditionnelle fête avec prise de soutane et renouvellement des promesses cléricales.
Cependant après la seconde guerre mondiale et durant les « Trente glorieuses », les mentalités évoluaient dans la société comme dans l’église pour aboutir à 1968. Malgré le renouveau apporté par Vatican II, un vent de liberté et d’individualisme gagnait les esprits, atteignant également les chrétiens. La pratique religieuse baissant et les vocations diminuant, des changements s’imposaient. Déjà en 1965 le petit séminaire de Beaucaire avait fermé, laissant la place à l’Institut St Félix, et s’installait à l’Assomption de Nîmes sous le nom de Séminaire des Jeunes, mais ne tiendra pas longtemps. En 1966, les grands séminaires de la région subissaient une première transformation. Les étudiants en philosophie de Nîmes, Mende et Montpellier étaient rassemblés à Montpellier tandis que les théologiens de ces diocèses étaient regroupés à Nîmes. Résultat, il n’y avait plus de nouveaux entrants à Nîmes, donc plus de 21 novembre : d’ailleurs les sulpiciens étaient partis et le clergyman étant autorisé, la soutane avait quasiment disparu ! L’année suivante, le séminaire de Nîmes fermait ses portes car les 5èmes et 6èmes années de séminaristes étaient envoyés en stage dans diverses paroisses.
Le 21 novembre allait-il disparaitre à jamais ? Heureusement non ! Malgré le climat morose du moment – le diocèse privé de son petit et grand séminaire, la rareté des vocations et le départ de plusieurs prêtres après mai 68 – un événement sauveur allait se produire.
Lors d’une réunion du Presbyterium en 1970, alors que la plupart des participants manifestaient leur pessimisme, un prêtre, le P. Jean Thomas, chancelier-économe de l’évêché, prenait la parole et de sa voix rapide, nerveuse mais convaincante, affirmait que le clergé, dans la circonstance, ne devait pas rester isolé, qu’il avait besoin de se rassembler, de prendre conscience de son unité, de retrouver sa vocation collégiale, de manifester son état de presbyterium uni à l’évêque et même de faire la fête. Il proposait pour cela de reprendre le 21 novembre, même si nous n’avions plus de séminaire ni de prise de soutane, ajoutant astucieusement : « bien sûr l’évêché assumera financièrement la fête ». La proposition était immédiatement approuvée par les présents et entérinée par Mgr Rougé. Le 21 novembre suivant, plus d’une centaine de prêtres se retrouvaient à Nîmes, concélébrant la messe avec l’évêque et renouvelant leurs promesses cléricales. La tradition était renouée, prête à se perpétuer.