Catholiques et Protestants, autour de Marie – Table ronde à Sauzet

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Contributeur : Services | Service diocésain à l’Œcuménisme

C’est quand même étonnant : catholiques et protestants, nous sommes tous les disciples du même Seigneur, et dans la même foi en lui nous nous retrouvons sous bien des aspects. Par contre, qu’on en vienne, dans une conversation, à évoquer Marie, la mère de Jésus, alors presqu’inévitablement les sourcils se froncent, des signes de contrariété apparaissent, des désaccords se laissent deviner. Pourquoi cela ?

La chose est d’autant plus étonnante que Luther, le premier réformateur, a parlé fréquemment et positivement de Marie, et a même écrit un commentaire du Magnificat qui est considéré (par nous aussi les catholiques) comme un chef d’œuvre. Certes, Luther a combattu par ailleurs une certaine survalorisation de Marie, qui était réelle à son époque, et que nous aussi considérons aujourd’hui largement comme ayant été une dérive théologique. Par exemple : tel auteur spirituel présentait de manière si déséquilibrée Jésus ressuscité comme Juge du monde, qu’il en venait ensuite à déclarer Marie supérieure à Jésus en termes de miséricorde. Ce qui est évidemment absurde et faux. Luther avait donc raison de combattre ce genre d’excès. Le problème est que très rapidement après lui, dans le climat général extrêmement polémique qui s’était installé, les nuances ont disparu, et Marie est devenue chez les protestants un tabou. On peut chercher en tous sens : hormis seulement une ou deux exceptions, il n’y a quasiment aucune littérature sur Marie, dans la théologie protestante depuis le XVIe siècle jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle.

On mesure donc l’exploit que représente la table ronde organisée par les chrétiens de la Gardonnenque, et qui a eu lieu à Sauzet le vendredi 27 janvier 2023 au soir. Que des catholiques et des protestants se retrouvent pour échanger pendant toute une soirée sur Marie, de façon ouverte, respectueuse et constructive, quand on sait d’où nous venons et pendant combien de siècles nous nous sommes entretués, c’est une sorte de miracle ! On ne peut que remercier Dieu et les personnes qui ont proposé et organisé cette soirée, avec aussi toutes celles arrivées avec moult plats cuisinés en vue de l’apéritif dinatoire qui à la fin devait prolonger les échanges.

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Les deux intervenants invités pour la table ronde étaient Mgr Brouwet notre évêque, et Madame Céline Römer, qui enseigne l’exégèse biblique à l’Institut Protestant de Théologie de Montpellier. Le pasteur Jean-Christophe Müller conduisit les débats. Il rappela ces mots d’un théologien protestant invité au Concile, qui, au retour de l’événement, indiquait avec profondeur l’esprit dans lequel il avait vécu ce moment ecclésial intense, esprit dans lequel notre table ronde aussi a été pensée : « Ce qui est ta vie agit sur la mienne ».

La parole fut d’abord donnée à Mgr Brouwet, qui, en partant de différents textes de l’évangile, exposa comment nous catholiques voyons Marie et sa place dans l’Église, sa mission.

  • D’après l’épisode des noces de Cana (Jn 2), tout d’abord, noces qui ne sont pas sans renvoyer aux Noces éternelles que Dieu a voulu établir avec l’humanité : Marie voit nos misères, et elle ouvre un espace. Elle ne se substitue pas à Jésus, elle renvoie à Jésus. Elle est la figure de l’Église. Elle désigne la source du salut, et se retire.
  • L’Annonciation (Lc 1, 26s) : au centre, se trouve Jésus, qui se laisse porter par l’Esprit et qui toute sa vie se laissera conduire par lui. (Dans le calendrier liturgique, l’Annonciation est une fête du Seigneur). Marie dit son oui dans le Oui du Fils au Père. Ouverte à l’Esprit Saint, ne lui opposant aucune résistance, elle est la « première Église » (Urkirche, disent les Allemands), entièrement disponible à la volonté du Père, à la suite de Jésus, dans l’Esprit. Il a fallu ce premier oui avant tous les nôtres.
  • La suite de l’évangile nous laisse entrevoir comment le oui de Marie a été progressivement façonné par Dieu. Nativité, prophétie de Siméon, paroles de Jésus au temple à douze ans… (Lc 2) : souffrances et « nuit de la foi » n’ont pas été épargnées à Marie.
  • Son Magnificat (Lc 1, 46s) est son état intérieur. Elle est bienheureuse parce qu’elle est disciple, avant d’être mère. Elle n’est mère que parce qu’elle a dit oui (cf. Lc 8, 21).
  • À la Croix (Jn 19, 25s), Marie vit l’ultime consentement à l’œuvre de Dieu. Dans son oui, Jean entre le premier. Et nous aussi. Image de l’Église qui se forme. Après avoir enfanté la tête, Marie enfante le corps. Elle est la nouvelle Ève. Elle nous apprend à être disciple. Quand nous disons la prière de l’Angelus, nous nous remettons, comme disciples, dans ce oui de Marie.

Madame Römer, à son tour, présenta comment elle voyait Marie, depuis sa position protestante. Elle commença par être très franche, en avouant que lorsqu’elle avait été invitée pour participer à ce débat et que le thème lui fut donné, elle pensa d’abord que c’était une plaisanterie ; après quoi cependant elle se mit au travail avec entrain et sans regret. Marie lui apparaît comme une possibilité de rencontrer le Seigneur, un chemin possible pour aller à la rencontre. Elle commenta le passage de Galate 4, 4, qui est la mention de Marie la plus ancienne du Nouveau Testament. Paul y affirme la pleine humanité du Seigneur. Toute femme peut se sentir concernée par ce passage où Marie, en tant que femme, est appelée par Dieu. Ensuite, les évangiles. Plusieurs passages importants furent commentés. Marc : il est le plus sévère des évangélistes envers la famille naturelle de Jésus ; et pourtant, pour lui, « si la déduction exégétique que la plupart des auteurs (protestants) font est bonne », Marie est au pied de la Croix. La généalogie de Matthieu : on note la présence des quatre femmes, qui, en cascade, amènent à Marie. Les chemins qu’on fait pratiquer aux femmes sont souvent violents ; et ici, justement, Dieu montre qu’il réalise sa volonté précisément à travers elles. Les femmes qu’on a accusées de tous les maux sont porteuses de la bénédiction de Dieu et de la liberté. Chez Jean, Marie, toujours désignée comme « femme », se trouve à l’entrée et à la sortie (Cana et Croix).

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Le débat qui suivit les deux interventions permit plusieurs clarifications complémentaires. L’évêque rappela que côté catholique, quelque chose d’important s’était joué lors de Vatican II : après un moment d’hésitation (fallait-il faire un document spécial sur Marie, ou l’intégrer au document sur l’Église ?) le Concile avait tranché pour intégrer la doctrine mariale à l’intérieur de la doctrine sur l’Église (Lumen Gentium 8). C’est très important : Marie est dans l’ensemble de l’Église. Le Concile a recentré la mariologie. Si l’on prie Marie, c’est pour qu’elle nous rapproche du Christ. À Lourdes, la source que la Vierge a indiquée à Bernadette dans la grotte symbolise cela : la source du Salut, c’est le Christ, pas Marie.

Madame Römer parla aussi en ce sens de Marie comme « haut témoin de la foi ». Le pasteur Müller rebondit en citant un théologien protestant, André Dumas, qui disait : « Marie n’est pas ma mère mais ma sœur ainée ». « C’est ce que je crois aussi, ajouta le pasteur Müller ; mais les protestants ont peut-être trop oublié déjà la sœur ainée ! ». On notera à ce sujet qu’un catholique aussi peut et doit considérer Marie comme notre sœur, puisqu’elle est une créature humaine comme nous, fille d’Adam. Cela ne s’oppose pas au fait que nous la considérions aussi comme notre mère, si Dieu dans son plan d’Amour a voulu lui donner cette mission. L’évêque, ici, parla de la tendresse que Marie, avec tout son côté féminin et maternel, apporte aussi de façon unique dans l’Église.

Madame Römer évoqua une difficulté de sa part concernant l’intercession, après que Mgr Brouwet eut évoqué le fait que Marie intercède pour nous auprès de Dieu. Ce vocabulaire ne renvoie-t-il pas à un ordre sacerdotal (que les protestants n’acceptent pas) ? L’évêque répondit que l’intercession relève déjà du sacerdoce commun baptismal ; avant même de penser au sacerdoce ministériel des prêtres, tout baptisé est « prêtre, prophète et roi ». Tous, nous pouvons prier les uns pour les autres, nous pouvons nous porter les uns les autres, comme Paul le demande. L’intercession est dans l’ADN de l’Église. Ce portage est possible parce que Jésus, d’abord, nous porte tous.

Quelques témoignages vinrent encore de l’assemblée. Par exemple, d’une personne protestante : « Si nos parents, nos aïeux, avaient pu entendre cela, eux qui ont tant souffert ! ». Ou encore : « J’ai rencontré Jésus sur le tard. Dans le oui que je lui ai donné à ce moment-là, il y avait quelque chose de Marie que vous avez exprimé ». Par ailleurs : « Quelque chose me gêne toujours chez les catholiques, ce sont les statues. J’y vois un risque de dérapage, qui m’inquiète : le risque d’idolâtrie. Cela m’évoque Jérémie 44, où des Juifs réfugiés en Égypte déclenchèrent la colère de Dieu après qu’ils aient offert de l’encens et des gâteaux à la « Reine du ciel ». « C’est vrai, ajouta Madame Römer ; en même temps il faut dire que ce risque de déviance nous guette tous, nous aussi les protestants. Nous devons tous être vigilants ». On précisa, dans le prolongement de cette question, la position catholique concernant l’adoration, position qui n’est autre que ce qui fut clarifié au Concile de Nicée II en 787 : le culte qu’on adresse à Dieu est au sens strict une adoration, qui ne vaut que pour lui seul. Concernant les saints, Marie, les icônes, etc., là il n’est pas question d’adoration, mais d’une vénération, qui n’est pas du tout au même niveau que l’adoration. Ce culte-là est d’une nature différente. Ainsi, l’amour plein de vénération qu’un catholique (ou un orthodoxe) peut vivre à l’égard de Marie n’est pas de l’idolâtrie (« mariolâtrie »), comme le craignent instinctivement les protestants. Pour nous il n’y a pas de confusion avec l’adoration due à Dieu seul. La difficulté, dans le dialogue avec les protestants réformés, est que Calvin a écarté explicitement le Concile de Nicée II (Institution chrétienne, I/11), comme d’ailleurs tous les Conciles œcuméniques excepté les quatre premiers. Du coup il pense que notre façon de voir (qui suit Nicée II et distingue radicalement adoration et vénération) n’est qu’un jeu de mots.

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De nombreux merci se sont exprimés au terme de cette soirée. « Nos divisions sont terribles, dans le corps du Christ », dit encore une participante. C’est vrai. Combien plus, alors, devons-nous remercier Dieu pour de tels échanges, qui nous aident à mieux nous comprendre et à avancer. Seuls, nous sommes incapables de surmonter nos divisions. Mais Dieu, lui, peut nous aider. Et il a déjà permis à l’Église de parcourir un grand chemin. L’Amour du Père, la prière de Jésus (Jn 17) et le Saint Esprit sont plus forts que tous les péchés du monde.

 

Antoine Birot

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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